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  • La loi 21, un « choix collectif et légitime »?

    La loi 21, un « choix collectif et légitime »?

    Pour justifier l’existence de la loi 21, le gouvernement caquiste et ses alliés laïcards et de la droite identitaire prônent sans cesse la légitimité démocratique de cette loi.

    « Les Québécois ont fait le choix de la laïcité, un choix collectif et légitime qui représente l’aboutissement de décennies de débats » nous dit le gouvernement suite à l’annonce de la cour suprême de janvier dernier, qui accepte d’étudier la légalité de la loi.

    Mais qu’en est-il vraiment?

    D’abord, « les Québécois », ce n’est pas les 24,8% de l’électorat qui ont voté pour la CAQ en 2018 (37,42% des suffrages exprimés, mais seulement 66,45% de participation), même si on y ajoute les maigres 11,3% du PQ. À 36,1%, on est loin d’une majorité, et à plus forte raison, d’un consensus.

    Ensuite, dans notre système représentatif, aussi imparfait et critiquable soit-il, il existe des mécanismes et des usages qui permettent de renforcer la légitimité d’une loi: débats, consultations des groupes et individu·es concernés, étude détaillée. Enfin, une loi doit être conforme à des lois supérieures, en particulier la Charte des droits et libertés, sinon elle peut être invalidée en justice, ce qui est un contre-pouvoir démocratique.

    Or, pour faire adopter la loi 21, la CAQ a contourné ces mécanismes de légitimation chaque fois que c’était possible: en bâclant les consultations, en utilisant le bâillon, et enfin en dérogeant à la Charte des droits et libertés.

    Premièrement, utilisation de la clause dérogatoire qui permet d’éviter à une loi d’être invalidée par un tribunal si elle ne respecte pas certains droits fondamentaux garantis par les Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. Utilisation préventive qui plus est, c’est-à-dire avant même que la loi ne soit contestée. On a vu que cette utilisation non justifiée est toxique pour les droits de tou·te·s étant donné qu’elle banalise la suspension de droits fondamentaux.

    Quant aux consultations parlementaires, elles furent brèves et exclurent tous les groupes religieux chrétiens, juifs, musulmans et sikhs qui avaient demandé la parole, ce qui en amena plusieurs à qualifier le processus de « mascarade ». Il faut s’imaginer que lors de ces consultations, les principales concernées (enseignantes portant un foulard) n’ont eu droit qu’à 0,6% du temps de parole selon la chercheuse Khaoula Zoghlami.

    Enfin, la loi 21 a été adoptée à majorité simple et sous bâillon, c’est-à-dire sans examen détaillé et en limitant les débats. Et cela, non seulement alors qu’elle utilise la clause dérogatoire, mais qu’en plus elle modifie la Charte elle-même. Du jamais vu, sachant que la Charte québécoise fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1975, et qu’elle avait toujours été modifiée à l’unanimité depuis (comme en 2016 lorsqu’elle fut amendée pour mieux protéger les personnes trans, un époque qui semble bien lointaine)

    Même les sondages (qui ne représentent pas un processus démocratique) que brandissent les prohibitionnistes donnent une image très nuancée du soutien à la loi 21, comme l’avait montré Nik Barry-Shaw en 2019. Plus récemment, Charles Breton de l’IRPP analysait lui aussi les sondages de 2019 à 2024, notant le déclin de l’appui à l’interdiction des signes religieux pour les profs (51%, pas de consensus donc) et à la clause dérogatoire (30%).

    Enfin, un point plus rarement soulevé, c’est qu’il n’y avait pas de mouvement populaire pour la prohibition des signes religieux. Les soutiens à la loi 21 viennent de quelques groupes marginaux comme le Mouvement laïque québécois ou les féministes islamophobes et transphobes de PDF-Québec.

    Au contraire, de très larges pans de la société s’opposent à la loi 21 à travers des organisations civiles, syndicales, politiques et professionnelles.

    Des centrales syndicales majeures se prononcent contre la loi 21, en particulier la CSN (plus de 300.000 membres) et surtout la FAE qui représente 60.000 enseignant·e·s (la FTQ ne prend pas position). La FAE fait d’ailleurs partie des plaignants dans la cause contre la loi 21 qui est désormais devant la Cour suprême.

    La loi suscite aussi un tollé de la part des organisations de défense des droits et libertés comme la Ligue des droits et libertés, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), et Amnistie internationale.

    La Fédération des femmes du Québec s’y oppose, le Barreau s’y oppose, les commissions scolaires s’y opposent. Même le conseil municipal de la ville de Montréal, lors d’un rare vote à l’unanimité, condamne la loi 21.

    La loi 21 ne représente donc pas particulièrement un choix « légitime et collectif » ou plus drôle encore, un « consensus ». Au contraire, c’est une loi divisive et largement contestée, ce qui explique que la CAQ l’ait passée en force, avec bâillon et clause dérogatoire.