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  • 1994: 1ère crise du hidjab au Québec

    1994: 1ère crise du hidjab au Québec

    Apparemment c’est la saison où on sort François Bayrou des boules à mites! Il se trouve que Bayrou a eu une influence certaine, quoiqu’indirecte, sur la création du «problème mulsulman» au Québec. On remonte donc à 1994, il y a 30 ans, pour la 1ère «crise du hidjab» au Québec…

    À la rentrée scolaire de septembre 1994, le directeur de l’école Louis-Riel à Rosemont renvoie chez elle la jeune Émilie Ouimet car sa tenue enfreint le code vestimentaire de l’école: elle porte un hidjab. Ses parents lui trouvent donc très vite un autre établissement. Anodin? Voire banal?

    Sûrement pas pour La Presse! Le 9 septembre, le fameux quotidien place l’histoire en première page, et même tout en haut. On y reproduit sans nuances la parole du directeur de l’école qui met dans le même sac hidjab et insignes néo-nazis.

    Reproduction de la une du journal La Presse du vendredi 9 septembre 1994 

Élève expulsée de son école parce qu'elle portait le foulard islamique

Berger, François

Une élève du secondaire a été expulsée de l'école Louis-Riel, lors de la rentrée scolaire mercredi, parce qu'elle portait le foulard islamique en contravention des règles de l'école régissant la tenue vestimentaire.

Pourtant, le port du hijab (voile ou foulard camouflant les cheveux) est de plus en plus toléré dans les établissements de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Certaines écoles l'acceptent depuis des années et la CECM envisage maintenant la possibilité d'édicter une politique sur cette question, car elle doit composer avec une population musulmane de plus en plus nombreuse (on compte quelque 40000 musulmans dans la région métropolitaine).

La jeune Émilie Ouimet, âgée de 13 ans, s'est présentée à son école de l'est de Montréal en portant le hijab et une longue tunique. «Nous lui avons demandé de rentrer à la maison pour se changer, comme nous le faisons pour les élèves portant des jeans ou des T-shirts», a dit hier à La Presse le directeur de l'école Louis-Riel, M. Normand Doré.

Les règles vestimentaires de l'école, qui accueille 1650 adolescents, stipulent qu'un élève ne doit rien porter qui le «marginalise», a expliqué M. Doré. L'expulsion d'Émilie a été une mesure préventive, a-t-il dit, car «le port d'un signe distinctif, comme le hijab ou des insignes néonazis, par exemple, peut polariser l'agressivité des jeunes».

    https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2178433

    Or en France, deux jours plus tard, le ministre de l’Éducation nationale F. Bayrou décrète, sondage en main, que les «signes religieux ostentatoires» seront interdits en classe. «La volonté nationale sur ce point me paraît trop massive pour être ignorée», dit-il

    Bayrou innovait car à ce moment-là, car il n’y avait même pas eu en France de «controverse» médiatisée concernant des élèves musulmanes depuis 1989. Un simple acte démagogique de diversion, donc. Au Québec, les choses ne s’arrêtent pas là…

    Suite à l’«affaire» Ouimet, plus de 100 articles sur le sujet du foulard à l’école sont publiés, selon la chercheuse Coryse Ciceri qui a étudié le phénomène. Et principalement dans La Presse et Le Devoir (très peu dans le Journal de Montréal)

    https://journals.openedition.org/urmis/379

    Un chose cocasse, c’est qu’en 1994, les écoles publiques du Québec n’étaient même pas déconfessionnalisées… On parle donc de laïcité dans les établissements de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM)!

    L’emballement se poursuit jusqu’en avril 1995 et ça dérape à tout va. Émilie Ouimet est aussitôt oubliée mais on débat de hidjab et d’islam au Québec en plaçant en toile de fond les horreurs de la guerre civile en Algérie et du terrorisme dit islamique.

    Émission spéciale terrifiante de «Second regard» sur Radio-Canada, série d’articles de Nathalie Petrowski qui se promène voilée et donne ses impressions franchement racistes sur les musulman·e·s de Montréal… débats, opinions, reportages…

    Une du journal La Presse le 25 mars 1995 avec à droite la rubrique de Nathalie Petrowski. Sa photo habituelle est remplacée par son portrait en hidjab.

Je porte le hijab depuis une semaine. Tous les jours de 9 à 5. Je le porte partout sauf à la maison. Je le porte de façon orthodoxe: rabattu sur le front, les cheveux complètement cachés, le cou couvert, l'ovale du visage encastré dans les pans du foulard comme un médaillon.

Mon foulard est blanc. D'un blanc pur et musulman. D'un blanc qui flashe. Impossible de passer inaperçue.

Le hijab, c'est l'idée de mes patrons. Ils m'ont demandé de le porter pendant une semaine pour voir la réaction des gens sur mon passage. Ils vont être déçus.

    https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2179564

    C’est à coups d’amalgames et de sensationnalisme que l’élite médiatique québécoise impose donc en 1994/1995 le thème de l’islam vu comme un problème, et même souvent comme une menace.

    Et sans doute, ce qui est découvert à ce moment là est que cette islamophobie moderne est un «racisme respectable». Car il n’y a pas de backlash, et ce malgré la grossièreté des propos tenus sur les musulman·e·s.

    Caricature. Titre L'intégrisme... en direct d'Alger. Montre un algérien portant une djellaba et un bonnet de prière agenouillé devant un âne. Mosquée en arrière-plan. L'âne dit "L'intelligence est ennemie de Dieu. Donc les penseurs et les intellectuels sont les ennemis de Dieu". L'homme répond "Tu as raison ô mon frère".
    Caricature parue dans La Presse du 9 septembre 1994

    Cette mini «crise du hidjab» de 1994 est importante car elle augure la «crise des accommodements raisonnables» de 2006 et toutes les paniques identitaires qui se succèdent depuis.

    Merci d’avoir lu ce fil, basé sur les recherches faites avec Nik Barry-Shaw dans l’optique d’un livre encore à terminer.